En Inde, une femme passe en moyenne 6 heures à s’occuper de sa maison. Un homme ? Une heure.
Un schéma qui se répète dans de trop nombreux pays. Injuste par principe ; surtout désastreux sur le plan humain et social.
Toujours en Inde (vous verrez après pourquoi), les femmes bénéficient de près de 2 000 heures annuelles en moins, en moyenne, par rapport à un homme, pour étudier et se concentrer sur leur carrière professionnelle.
Entre 2004 et 2011, la participation des femmes au marché du travail est passée de 31% à 24%.
Trop c’est trop.
Ariel et l’agence BBDO basée à Bombay ont créé une campagne de pub pour sensibiliser les hommes (et les femmes aussi, d’ailleurs) à ce problème. Social, économique, mais surtout humain.
La 1re pub de #sharetheload a fait un carton plein.
Entre télévision et internet, elle a été visionnée plus de 50 millions de fois en 50 jours. Elle a fait la une des journaux nationaux et des émissions de télévision les plus regardées du pays. Des grandes marques de vêtements ont ajouté sur les étiquettes d’instructions de lavage la phrase suivante: “May be washed by men or women.” Plus de 2 millions d’hommes se sont rendus sur le site web d’Ariel pour apprendre à se servir d’une machine à laver.
Et puis bon, qu'on ne se voile pas la face: les marketeurs de chez Ariel ne sont pas des enfants de coeur. Eux, ce qu’ils veulent, c’est augmenter les ventes de la marque. Pari réussi: +75% sur le chiffre d’affaires en un an.
Mais elle dit quoi cette pub ?
Elle ne dit rien. Elle montre. Elle raconte une histoire.
La séquence d’ouverture met en scène un grand-père et son petit-fils en train de jouer. Peu après, la femme de l’enfant, qui est aussi la fille du grand-père, entre dans la pièce.
Elle est stressée.
Dépassée.
Elle parle vite et fort. En voyant son fils, elle ne l’embrasse pas, elle dit: “oh non, tu t’es encore sali.” Elle tend un papier à son père, puis décroche le téléphone, avant de se rendre dans la cuisine.
Son père la regarde, se souvient du temps où elle jouait à la dinette. Où préparer à manger était un jeu. Maintenant elle gère l’espace cuisine et ce n’est plus un jeu. Elle gère aussi le ménage, le linge, son travail et tant d’autres choses.
Le grand-père est fier mais il est aussi désolé.
Désolé de la voir courir dans tous les sens sans jamais pouvoir profiter de l’instant présent.
Désolé qu’elle n’ait jamais le temps de prendre soin d’elle.
Désolé, surtout, d’avoir contribué à cette situation.
Bah oui, parce que quand on fait jouer la petite fille à la dinette et le petit garçon au foot, on instaure des codes qui dessinent le futur. Et puis le grand-père n’a jamais montré l’exemple, puisqu’il n’a jamais aidé sa femme.
Il le regrette.
Ce qu’un enfant voit, il l’apprend.
Mais ce n’est pas trop tard.
Le grand-père promet de mettre la main à la pâte. Il n’aide pas. Il fait sa part, ce qui est bien différent. Ce n’est pas le roi de la cuisine, mais c’est un homme qui prend ses responsabilités de père et de mari et qui, pour le bien de sa fille, refuse que les stéréotypes de genre continuent d’être transmis.
Le storytelling: l’outil de comm’ le plus puissant.
Chip Heath, un professeur de la Stanford Graduate School of Business, a mené une étude sur le storytelling. Lui et ses équipes ont montré que lorsqu’une information était présentée sous forme d’histoire aux participants, 63% de ceux-ci s’en souvenaient. Lorsqu’elle était présentée sous forme de statistique, ils étaient seulement 5% à s’en souvenir.
Pour la célèbre anthropologue Barbara Myerhoff, les histoires”are equipment for living.” En français, on pourrait traduire ça par “les outils pour construire la vie.”
En 2013, une étude du ManpowerGroup a identifié 3 profils émergents que les entreprises doivent attirer à tout prix: le Protecteur (juridique et informatique), l’Optimiseur (data, marketing) et le Storyteller (communication, désolé je suis déjà surbooké.)
Mais pourquoi les histoires sont si puissantes ? Parce qu’elles correspondent à la manière naturelle et inconsciente de notre cerveau pour analyser et comprendre le monde qui nous entoure.
C’est comme ça qu’on a évolué.
Dans Storynomics, Robert Kee fait appel à la psychologie évolutionniste pour expliquer la raison de la puissance du storytelling. Il présente les 3 stades de pensée de l’humain. C’est déductif mais pas inintéressant.
1er niveau de pensée: conscience de soi. L’humain se rend compte qu’il y a un soi objectif et un soi pensant, donc subjectif. On se sent seul face à ses propres pensées, d’où le besoin de connexion avec les autres.
2e niveau de pensée: conscience du temps. On va tous finir par mourir. Alors à quoi bon vivre ? Le monde devient chaotique et la vie une recherche de sens.
3e niveau de pensée: conscience des causalités. A la recherche d’harmonie dans un monde chaotique, le cerveau se met à lier les événements les uns aux autres. S'il se passe ce qui est en train de se passer, c'est parce que dans le passé il s’est passé ça et dans le futur il se passera donc ça (j'adore cette phrase.) En d’autres termes, le cerveau crée des histoires qui expliquent le monde.
Qu’on le veuille ou non, notre cerveau est une usine à histoire. Développer ses compétences en storytelling, c’est communiquer de la manière la plus intuitive, naturelle et donc efficace possible.
5 conseils inusuels pour raconter de bonnes histoires.
Passez du négatif au positif. Ou le contraire. Mais en communication, un happy ending est préférable. Dans tous les cas, on part d’un pôle pour arriver à un autre. Il y a transformation et elle commence après un moment significatif (j’en identifie 4 dans mon cours sur le storytelling digital. Après, vous les verrez partout.)
Evitez le piège de la chronologie. Je ne compte plus les pages “à propos” d’entreprises ou même les biographies rédigées par des écrivains qui manient les mots comme des magiciens mais qui n’ont aucune notion de storytelling. C’est terrible. Une succession de dates, ce n’est pas une histoire. C'est rien. Donc chiant.
Choisissez une paire de valeurs opposées. Une histoire, c’est aussi une tension entre une paire de valeurs opposées. Le personnage qui est une boule d’amour ressent d’un coup de la haine et ça le bouleverse. Ou le personnage toujours énervé qui tombe amoureux. Ou la personne à qui tout réussit qui connaît échec sur échec. Bref, vous avez compris mais c’est super important. Dans la pub pour Ariel, l’opposition est entre la fierté et la culpabilité.
Commencez par la fin. C’est une technique qui correspond bien aux exigences modernes de lecture (ou de visionnage), donc d’écriture. Le plus simple est de plonger le lecteur dans la scène du dénouement, sans la terminer, comme dans Fight Club par exemple... L’accroche sert alors de promesse: celle de résoudre la tension.
Soyez David, pas Goliath. L’histoire d’un entrepreneur à qui tout a réussi et qui ouvre un nouveau business à succès n'intéresse personne. Comme dans la série Ted Lasso, moins les gens croient en vos possibilités de réussite, plus belle sera l'histoire. Ce qui émeut n'est pas le résultat de la mission, mais la tentative de la mener à bien.
Une compétence transversale et intemporelle. Surtout: profondément humaine.
Pour finir en beauté, voici 3 citations sur l'art de la narration.
La personne la plus puissante du monde est le storyteller. Steve Jobs.
Vous ne pourrez jamais tuer les histoires, parce qu'elles sont inscrites dans nos gènes. On naît avec. Margaret Atwood (La servante écarlate.)
Il n'y a pas de plus grande agonie que de porter en soi une histoire non racontée. Maya Angelou (écrivaine, poète, militante.)
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