Vendredi dernier j'ai commis l'irréparable: j'ai ouvert LinkedIn. Un post d'Antoine BM sur l'IA traînait par là, disant que l'IA n'avait pas d'âme. J'ai effacé ma newsletter dans la foulée, qui traitait aussi de l'IA. Il existe déjà trop de mauvaises publications sur le sujet, je ne voulais pas ajouter la mienne à celle d'Antoine et des autres.
Pour Antoine, pas de panique, à la fin on apprend qu'elle a été générée par l'IA. Ouf, il n'était pas à l'origine de ce néant créatif. Mince, certains dans les commentaires pensaient vraiment que c'était lui, malgré que le texte commence par "il faut", enchaîne les clichés et les mots vagues "âme, ressentir, aujourd'hui, des tas, notre véritable voix."
Je me suis dit que mon texte, à défaut d'être plus pertinent, est au moins plus personnel. Je l'ai sauvé de la corbeille, le voici.
Ces temps je lis les contes d’Andersen à ma fille d’une année pour l’endormir le soir. Elle n’aime pas encore les histoires, mais moi oui. Après 30 minutes de lecture à tue-tête, voyant que ma voix monotone ne fatigue pas, elle se jette contre les barreaux de son lit, me priant pour que j’arrête et que je me barre de sa chambre. Suite à quoi elle s’endort d’épuisement.
Ce n’est pas ce que j’espérais mais ça marche. Et il y a un compte, “Le rossignol et l’Empereur”, qui m’a fait penser à ce qui se passe actuellement avec l’IA en rédaction.
Le récit se déroule en Chine, dans le palais impérial de l’Empereur où tout est luxe et volupté.
Mais ce qui marque, c’est le chant divin d’un rossignol qui vit dans la forêt adjacente.
Les chefs souverains invités lui dédient toutes leurs louanges, les poètes leurs vers et lorsque les écrivains rédigent des livres sur le palais de l’Empereur, la moitié du bouquin est réservée au rossignol.
En lisant un de ceux-ci, l’Empereur s’étonne de ne jamais avoir entendu parler de l’oiseau. Il demande à sa cour de le retrouver et de l’inviter au palais.
Le rossignol est contraint d’y rester et d’y performer tous les jours. Il préfère la liberté de la forêt mais les ordres de l’Empereur ne se discutent pas. En échange, il est couvert d’admiration et de cadeaux des visiteurs.
Un jour, l’Empereur reçoit une boîte.
Ce n’est pas une offrande pour l’oiseau, mais une reproduction mécanique du rossignol. A la différence près que si le vrai est tout gris, la reproduction est ornée des plus beaux bijoux.
Le mieux, c’est que l’oiseau mécanique reproduit toutes les mélodies chantées par le vrai. Et qu’il ne se fatigue jamais et qu’il ne se plaint jamais. D’une extrême fiabilité, il peut performer jour et nuit avec la même intensité.
Il régale l’Empereur, les courtisans et les visiteurs. Tous oublient l’original qui en profite pour s’éclipser de sa cage et rejoindre la forêt.
Et puis, ce qui devait arriver arriva.
Un *crack* s’échappe de l’oiseau mécanique. Il est certes rapidement réparé mais les gens découvrent que celui qu’ils considéraient comme parfait ne l’est pas.
Bon, il continue d’amuser le peuple et la cour. Bien que les mélodies se répètent, elles restent plaisantes ; ce n’est plus comme avant mais ça passe.
De son côté, l’Empereur tombe gravement malade.
Ses jours sont comptés et il passe ses nuits à lutter contre la Mort qui est assise juste là, sur sa poitrine, et le fixe jusqu’à ce qu’il s’abandonne dans ses bras.
L’Empereur tente de faire chanter l’oiseau mécanique pour distraire son esprit. Mais il n’y a personne pour le remonter puisque ses serviteurs sont déjà en train de courtiser le potentiel remplaçant.
Un soir, alors que l’Empereur est au plus mal, le vrai rossignol se pose sur le rebord de sa fenêtre.
Heureux, l’Empereur se morfond en excuses.
« Merci, merci ! » dit l'empereur. « Toi, divin petit oiseau, je te connais bien ! Je t'ai banni de mon pays et de mon empire, et voilà que tu chasses ces mauvais esprits de mon lit, et que tu sors la Mort de mon coeur ! Comment pourrais-je te récompenser ? »
« Tu m'as récompensé ! » , répond Rossignol. « J'ai fait couler des larmes dans tes yeux, lorsque j'ai chanté la première fois. Cela, je ne l'oublierai jamais; ce sont là les joyaux qui réjouissent le coeur d'un chanteur. Mais dors maintenant, et reprend des forces; je vais continuer à chanter ! »
Le rossignol chante toute la nuit. Le lendemain, l’Empereur se réveille le coeur léger et le corps guéri. Le rossignol peut garder sa liberté et venir chanter quand il lui plaît.
En le découvrant autant en forme, les serviteurs qui l’avaient laissé tomber, eux, deviennent pâles comme la mort.
Bon, vous vous dites peut-être que les contes c’est un peu cucul. Et c’est vrai. Mais ça m’a fait réfléchir et je trouve incroyable qu’une histoire parue en 1843 puisse éclairer ce qui se passe 180 ans plus tard.
Notre métier, ce n’est pas d’écrire pour performer.
Répéter les mêmes mots et les mêmes phrases et les mêmes contenus encore et encore et encore, jusqu’à ce que tout soit, comme le disait le narrateur dans Fight Club, “une copie d’une copie d’une copie.”
Oui, ça impressionne les foules. Non, ça ne touche pas les personnes qui comptent.
Notre métier, c’est de trouver les bons mots à écrire à la bonne personne au bon moment, qui vont aider à guérir un problème ou à réaliser un désir.
Et ça, ça demande de l’intelligence émotionnelle, pas artificielle.
L'IA est beaucoup plus intelligente que vous et moi. En tout cas, de moi. Là où il me faut une semaine pour lire et résumer un livre, il lui faut 10 seconde. Mais écrire, ce n'est pas seulement choisir sur quoi écrire, c'est aussi et surtout choisir sur quoi ne pas écrire. Et ça c'est une question de sensibilité, de goût, d'expérience.
Certes, le faux rossignol c'est de la mécanique, pas de l'intelligence artificielle. Mais si on mettait de l'IA dans ce rossignol mécanique, il n'aurait pas été capable de faire ce qu'a fait le vrai rossignol.
Alors, comment faire disparaître un rédacteur ?
Je n'en sais rien. En tout cas pas avec l'IA.
L’IA ne fera pas l’économie du temps et des efforts nécessaires au développement d’une compétence. (Ou de payer au prix fort quelqu’un qui l’a développée.)
Nul ne peut faire sien un talent qu’il ne possède pas.
Peut-être qu'on disparaîtra quand les gens ne sauront plus faire la différence entre un texte qui marque et un texte qui plaît, mais ça c'est parce que les rédacteurs ne sauront plus écrire des textes qui marquent.
Alors à nos claviers.
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