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Pitié pour le lecteur !


Lire c’est bien. Mais c'est dur. Ce n’est pas naturel. Le corps brûle de bouger mais doit s’effacer et l’esprit a envie de papillonner mais doit fonctionner de manière linéaire. De gauche à droite et de haut en bas. Alors si vous ne deviez suivre qu’une seule règle d’écriture, ce serait celle-ci...

Suis-je le seul à avoir remarqué que dans notre milieu on parle beaucoup d’écriture mais peu, voire pas du tout, de lecture ? Or, le but final d’un texte n’est-il pas celui d’être… lu ?


La bibliothèque idéale

 

En octobre dernier, je suis tombé sur une liste des 100 meilleurs romans américains, créée par un internaute inconnu sur Babelio. Donc subjective et personnelle. Mais quelqu’un qui se donne autant de peine, je ne peux que lui accorder ma confiance. Et comme je suis un mordu de littérature étatsunienne, j’ai acheté tout ce qui me manquait.

 

Ce qui est fascinant avec des auteurs comme Ernest Hemingway, Joan Didion ou encore Truman Capote, c’est que leur écriture est moderne. Verbes d’action, récit incisif, phrases courtes, chapitres minces. Elle est proche de celle qu’on pratique aujourd’hui, notamment sur le web.

 

Alors nous autres les copywriters, on n’est certes pas des littéraires, mais on est des conteurs. De ce fait, c’est une littérature qui m’inspire. Sur le plan personnel, mais aussi professionnel.

 

La seule véritable règle d'écriture

 

Et au bout d’une 30aine de livres lus, j’ai remarqué un truc que je voulais partager avec vous. Tous les livres qui me sont tombés des mains comme du savon avaient un point commun évident. Surtout, tous mes coups de coeur avaient un point commun surprenant.

 

De cette double observation inattendue, j’en ai tiré une règle d’écriture qui pourrait améliorer la qualité de nos écrits, mais aussi et surtout leur durée de vie. Ce qui est appréciable, parce que passer 1h30 sur un texte qui sera oublié de l’algorithme en moins de 15 minutes, c’est quand même décourageant.

 

Pour bien comprendre cette règle, suivez-moi encore un peu. Remontons le temps d’un siècle environ.


En 1925 l’Amérique est une fête. B.B. King pointe le bout de son nez, Bessie Smith chante le St Louis Blues tandis que Joséphine Baker traverse l’océan pour enflammer les scènes parisiennes. 

La littérature n’est pas en reste puisque cette année folle accouche de deux de ses plus beaux bébés : Gatsby de Francis Scott Fitzgerald et Manhattan Transfer de John Dos Passos.


Deux romans que tout oppose

 

J’ai lu les deux d’affilée sans savoir pourtant qu’ils ont été publiés en même temps. J’ai été d’autant plus surpris que j’ai appris qu’ils ont connu une trajectoire totalement opposée.

 

Gatsby de Fitzgerald a essuyé un échec sinon cuisant, en tout cas piquant. Mais aujourd’hui, tout le monde connaît Gatsby le magnifique et son amour inconsidéré pour la belle Daisy Buchanan. J’ai lu l’histoire d’une traite, aussi captivé que mon bouledogue quand je tiens un morceau de pain dans la main.

 

Manhattan Transfer a connu un triomphe absolu à sa publication. Mais aujourd’hui, le récit s’est effacé des mémoires, hormis de quelques mordus de littérature étatsunienne - et encore. J’ai abandonné au bout de 100 pages, malgré l’élégance de la plume de Dos Passos, qui coud du beau à partir du tissu urbain et chaotique de la Grande Pomme.

 

A ma décharge, faut dire que je lisais surtout le soir, les paupières menaçant de s’écraser à tout moment sur les pommettes, que mes phalanges tournaient difficilement les pages tellement elles étaient paralysées par le froid et que Netflix n’était qu’à un bouton de télécommande.

 

Surtout, faut dire que le roman use d’une narration fragmentée, pour ne pas dire éclatée, où les vies de différents personnages se croisent. Alors que Fitzgerald brosse mon inconscient dans le sens du poil en respectant la structure classique d’une histoire, Dos Passos casse tout. 

 

Des céphalées littéraires...

 

Ce n’est pas le seul. Le Bruit et la Fureur de William Faulkner est le récit le plus fracturé que j’ai lu. A vrai dire je n’ai pas réussi à le finir. Si vous voulez avoir mal à la tête, lisez Faulkner (mais pourquoi quelqu’un voudrait avoir mal à la tête ?)

 

C’est une sensation que j’avais déjà éprouvée avec les auteurs (maudits soient-ils!) qui utilisent la technique du flux de conscience, comme l’Ulysse de Joyce.

 

Qu’on se comprenne bien, ce n’est pas juste une question de longueur. Si je préfère les livres fins aux briques, je me suis tout de même régalé avec Moby Dick de Melville (600 pages) ou 22/11/63 du King (plus de 1000 pages).

 

C’est juste que je ne comprends pas les gens qui veulent partager une histoire mais compliquent sa lecture. Je les imagine assis dans la pénombre, la plume dans une main, l’autre qui caresse un chat, alambiquant le texte sur fond de rires maléfiques. 

 

A la limite, si une technique particulière permet de renforcer un propos, pourquoi pas. Comme Céline et l’argot ou Bill Withers qui tient une note infinie dans Lovely Day parce qu’il était réellement en train de passer un gros gros gros lovely day ! 

 

Mais le plus intéressant, ce n’est pas ça. Après tout, qui sommes-nous pour avoir l’outrecuidance de ne pas louanger les démiurges de la littérature, nous qui n’avons que pour faits d’armes deux pages de vente et une séquence d’emails ? Comme me l’avait fait remarquer un lecteur : “mec calme-toi t’écris juste de la réclame.”

 

... aux coups de <3

 

Le plus intéressant donc, c’est ce qu’avaient en commun mes coups de coeur : des adaptations à succès au cinéma.

 

Je connaissais Fitzgerald de nom grâce à Paris est une fête d’Hemingway mais je ne l’avais jamais lu. Et Gatsby de nom parce qu’il y a plein de mèmes avec Di Caprio sur internet mais je ne l’avais jamais vu.

 

Mais quelle claque ! Je l’ai dévoré en une soirée. Et puis j’ai enchaîné avec le film de Baz Luhrmann. 

 

Coup de coeur suivant ? Mon Chien Stupide de John Fante. Une histoire plus simple tu meurs : une famille dysfonctionnelle de Los Angeles voit sa vie bouleversée par l'arrivée d'un chien grossier et incontrôlable. 

 

Et quel bonheur d’apprendre qu’Yvan Attal a porté l’histoire sur le grand écran (avec Charlotte Gainsbourg). J’ai pu partager la joie de la découverte de cette histoire avec d’autres personnes.  

C’est après Fante que j’ai fait le lien. C’est quasi systématique : quand je tombe amoureux d’un livre, une adaptation cinématographique ou en série ou même un documentaire YouTube passionnant m’attend. J’avais déjà vécu ça avec, entre autres, Hurlevents d’Emilie Brönte.

 

Les multiples vies d'un texte agréable à lire

 

J’ai repris ma liste et lu les romans avec les meilleures adaptations cinématographiques : Shining (Stephen King), Fight Club (Chuck Pahlaniuk), Le Parrain (Mario Puzo) ou encore Vol au-dessus d’un nid de coucou (Ken Kesey).

 

Ils ont tous trois points communs : une lecture relativement facile, que je qualifierais de visuelle (on se représente assez bien les scènes), une narration linéaire (structure classique) et des thèmes universels (l’amour, la liberté, le pouvoir, etc.)

 

Ces auteurs ont fait tomber toute velléité de révolutionner l’écriture. Ils travaillent à offrir un bon moment aux lecteurs. Voilà tout.

 

Du coq à l'âne (pas tant que ça)

 

Cette facilité de transposition du texte à la vidéo me paraît cruciale à notre époque. Si vous souhaitez que vos écrits ne se perdent pas dans l’instantanéité des réseaux sociaux, vous devez miser sur le partage et l’omnicanalité, notamment en facilitation son adaptation : d'une personne à l'autre, mais aussi d’un article de blog à un thread X, à un post LinkedIn, à une vidéo courte TikTok, à une vidéo plus longue sur YouTube, etc.

 

Si vous ne savez pas écrire une phrase complète sans sauter à la ligne, vos textes pourront peut-être fleurir sur LinkedIn mais ils y mourront aussi. Si tout ce que vous savez écrire ce sont des aphorismes à deux balles, des punchlines ou du langage sms, vous avez vos chances sur X mais pas ailleurs.

 

En fait, dès que le lecteur sort de votre tête, que vous écrivez d’une façon particulière parce que vous êtes sur telle ou telle plateforme ou suivant votre statut “social”, vous tuez vos écrits dans l’oeuf. Et peut-être votre carrière aussi.

 

Ayez pitié du lecteur

 

A ma connaissance y a qu’un moyen d’éviter ça, c’est de faciliter la tâche de notre pauvre lecteur. D’arrêter de parler de techniques d’écriture ou de persuasion ou d’accroche ou je ne sais quoi, donc de soi, mais de commencer à s’intéresser à l’expérience du lecteur. Et d’en faire le centre de notre travail.

 

Kurt Vonnegut, un autre géant de la littérature américaine, a intitulé son essai sur l’écriture Pity The Reader, qu’on pourrait traduire par “Pitié pour le lecteur”.

 

C’est de cette règle primordiale que découlent toutes les autres. C’est une phrase que chaque écrivain, auteur, rédacteur, ghostwriter, copywriter et autre professionnel des mots devrait imprimer en grand et accrocher au-dessus de son bureau.

 

PITIE POUR LE LECTEUR !

 

L’écriture de cet article m’a demandé deux jours de travail. C’est beaucoup trop. Faut dire que j’ai recommencé trois fois parce que ça me paraissait fou d’écrire tant de mots pour conclure par une telle évidence. Presque bête. 

 

Mais c’est quelque chose qu’on comprend vraiment en lisant ces livres, puis en visionnant leur adaptation à l’écran. Alors je vous invite à le faire. Tout comme à vous questionner sur les livres qui vous sont tombés des mains. Quelles en sont les raisons ?

 

Quand un texte ne nous plaît pas sur le web, on passe rapidement au suivant. La frustration n’a pas le temps de s’installer et on ne questionne pas ce qui nous a déplu dans la lecture. C’est le contraire avec un livre. 

Et puis tant qu’on parle de techniques d’écriture sans jamais parler d’expérience de lecture, je crois que le message vaut la peine d’être répété.

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