Dans sa pièce “La Dernière Bande”, Samuel Beckett met en scène un vieil homme appelé Krapp.
A chacun de ses anniversaires, Krapp enregistre un compte rendu de l’année écoulée. A 69 ans, les épaules brisées sur un bureau décrépi, il fait face à sa vie en réécoutant quelques-uns des enregistrements sur un magnétophone éléphantesque.
Il moque ses aspirations de jeunesse, insulte ses rêves inachevés, se montre amer face au temps qui passe mais n’offre rien de ce qu’il avait promis. Et puis, un extrait le laisse sans voix. Il le repasse en boucle.
Un Krapp jeune narre une esquisse d’une journée passée avec une demoiselle.
“Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s’est coincée. Comme ils se pliaient, avec un soupir, devant la proue ! Je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, de haut en bas et d’un côté à l’autre.”
Le rideau descend. La pièce se termine.
Et je n’ai pas encore trouvé plus belle manière d’illustrer la raison qui nous pousse à écrire.
On a tendance à mesurer notre vie à l’achèvement de nos objectifs, de nos rêves, aux mètres carrés d’une maison ou à la valeur d’un leasing. Mais, à la fin, tout ça ne compte rien.
Tout ce qui reste, ce sont les souvenirs. Ceux qui nous sont tombés dessus et ceux qu'on a réussis à créer.
On écrit pour encapsuler ces moments si fugaces qui font que la vie mérite d’être vécue.
Pour “être de nouveau” comme le dit Beckett.
Pour être encore celui qui, quand il y a une chance de bonheur, a le courage de la saisir. Ou celui qui a trouvé la force dans l'adversité.
(Et puis, si on est copywriter, on ajoute un produit ou un service au souvenir qu'on crée. On obtient alors un texte de vente qui se rapproche plus de l’essence de parfum que de l’eau de Cologne.)
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