Durant des millénaires, la lune et le soleil se sont battus pour s’accaparer la lumière du ciel. La lune s’étant révélée aussi forte que le soleil, les deux puissances ont fini par se relayer et devenir complémentaires plutôt qu’antagonistes: le soleil illuminant la journée et la lune éclairant la nuit.
Voici un conte aeta.
Les Aetas sont les premiers habitants des Philippines, une tribu de chasseurs-cueilleurs.
L’ethnologue et professeure universitaire Andrea Migliano a passé plusieurs années à leurs côtés et a trouvé un truc de dingue: dans le groupe, la compétence la plus précieuse n'est pas celle de la chasse... ni même celle de la cueillette.
Elle a demandé à 300 Aetas de classer les autres membres de la tribu dans une des 4 catégories suivantes, chacune représentant une qualité jugée désirable: la force physique, l’importance sociale, la capacité à chasser et pêcher et l’intelligence.
Elle leur a ensuite demandé de nommer 5 personnes avec lesquelles ils et elles aimeraient vivre le plus souvent - les Aetas étant nomades, la configuration de leur campement change régulièrement.
Le but était de comprendre ce que des chasseurs-cueilleurs appréciaient le plus chez leurs pairs.
Tout le monde s’attendait à ce que la compétence de la chasse soit la plus valorisée.
Ç’a presque été le cas: constatant que certains Aetas passaient leurs journées à partager des récits, Andrea Migliano a rajouté à la dernière minute une 5e catégorie de personnes: les conteurs d’histoire.
Et là vous me voyez venir. Gros comme un camion. Et vous avez raison. Les storytellers ont été désignés comme les compagnons de vie idéaux.
L’art de la narration comme la compétence la plus appréciée au sein de la tribu Aeta.
Deux fois plus que celle de la chasse.
En tant qu’anthropologue évolutionniste étudiant un groupe pour qui les calories sont plus rares que les histoires, Andrea Migliano s’attendait à tout sauf à ça.
Comme quoi.
Je n'ose même pas imaginer le rôle primordial d'un.e storyteller dans une société où la calorie est plus abondante (merci McDo) que les bonnes histoires (pas merci LinkedIn.)
Enfin si, bien sûr, j'ose. Je le sais un peu même, pour avoir travaillé le sujet de long en large durant ces six dernières années. J'en parlerai plus longuement dans certains des mails prochains.
Comments